Compréhension, expériences et réalisation d'après une retranscription de Serge |
À la suite de ma question, Lama Shérab a bien voulu développer le sens de ces trois termes qui permet d’éclaircir la finalité de la méditation.
La pratique du Dharma n’échappe pas à la loi de causalité. En pratiquant on induit une cause qui produit un effet. À nous d’analyser les effets que l’on éprouve et de s’interroger si ce sont bien les effets escomptés, c’est-à-dire une compréhension ou encore une expérience ou encore mieux une réalisation de la vacuité des phénomènes et de l’esprit. S’il nous semble difficile d’y répondre par soi-même, il est possible d’interroger son instructeur de méditation. Si ce ne sont pas les effets escomptés, il est nécessaire de revoir notre aspiration ; s’agit-il bien de réaliser l’Éveil, la désillusion complète, ou bien simplement ressentir quelques expériences de bien-être et d’améliorer son quotidien et ses petits problèmes relationnels. Compréhensions, expériences et réalisation sont trois termes qui définissent le progrès et les fruits de la méditation bouddhique. Compréhensions Dès lors que l’élève applique correctement les instructions de méditation que lui transmet l’instructeur il n’y a aucune raison de ne pas progresser sur le chemin de la sagesse. Ce qu’il faut entendre par « appliquer correctement » consiste à s’entraîner régulièrement selon les consignes reçues avec un effort approprié (juste) en s’appuyant sur l’étude et la réflexion. Expériences Avant tout, il faut savoir distinguer les expériences symptomatiques et les expériences valides. Les expériences symptomatiques sont provoquées du fait qu’on ne médite pas correctement. Pour un pratiquant qui a bien clarifier ce qu’il recherche, ces expériences peuvent être utile pour reconnaître et corriger une pratique erronée. Ces expériences peuvent aussi bien être agréables que désagréables. Elles ont souvent un effet marquant voire même spectaculaire et séduisant. Pour une personne qui n’a pas trop clarifier son aspiration, ces expériences peuvent être prises pour « argent comptant ». C’est-à-dire que ces expériences procèderaient de la méthode proprement dite et non pas de ce qu’induit le méditant, de sorte qu’elles ne lui seront d’aucun bénéfice pour corriger sa méditation. Pour des personnes aux aspirations confuses à la recherche de pouvoir et en attente d'effets spéciaux, certaines de ces expériences symptomatiques peuvent avoir un effet captivant, leur faisant prendre une voie dangereuse pour leur esprit et leur devenir karmique. Les expériences valides le sont au regard de notre objectif, c’est-à-dire reconnaître la nature des phénomènes et de l’esprit. Avec un effort assidu de concentration et une vigilance plus alerte nous aurons des expériences valides. Ces expériences ne sont particulièrement « agréables » dans le sens que l’on pourrait s’attendre à mieux. Ne serait-ce voir la distraction s’emparer de notre esprit, voir l’agitation, voir que nous n’exécutons pas immédiatement le rappel (1) (sct. smṛti, tib. drèn), tout cela ne devrait pas nous décevoir.Il ne faut pas en douter, ces expérientes participent d’un acquis dans la progression de la méditation. Les causes de ces expériences que je qualifie de valides sont entre autres : l’effort juste, la concentration juste, la vigilance, la détermination, l’assiduité etc… Ce sont des causes vertueuses qui nous permettent d’être en état de voir, de savoir et de goûter l’expérience. C’est cela même qui importe, que ces expériences nous paraissent "positive" ou "négative". En gardant une certaine équanimité vis-à-vis de l'expérience, nous arriverons à voir l’effort de concentration « accéder » à l’enstase. Nous verrons le discours cogital s’estomper laissant plus de légèreté et de lucidité en cette enstase, etc… Nous arriverons à « savoir pour s’être tu ». Je rappelle le rapprochement étymologique entre "savoir " et "saveur" avec la racine latine sapēre (avoir de la saveur) que l’on retrouve dans sapiens. Au delà de cette coïncidence étymologique, l’expérience même de samatha-vipassana révèle bien cette aptitude de la conscience qui en vient à « savoir-goûter » parce qu’elle ne justifie (soif) plus une existence discursive mais une évidence de fait « sachant, existant » (2). Pour se soustraire de ce qui semble paradoxal, nous retrouvons des expressions comme « voir sans voir » (Nagarjuna) ou bien « savoir sans savoir » (Saint Jean de la Croix) etc. Dans le Vajrayana, les expériences les plus excellentes se divisent en trois : expérience de clarté, expérience de félicité et expérience de non-conceptualité. Ces expériences viennent quand le yogi a établi la jonction de la Vue et de la Méthode. Bien qu'on puisse parler d'expériences d'un haut niveau, elles ne se définissent pour autant pas comme une réalisation. Réalisation Une réalisation signifie la reconnaissance de la vacuité aussi bien des phénomènes que de l’esprit lui-même. Une reconnaissance de la vacuité conjointe de l'expérience et l'expérimentateur, Je mets ici le mot "réalisation" au singulier dans le sens où une réalisation de la vacuité est de "saveur unique" bien que l’esprit et les phénomènes puissent se manifester distinctement les uns des autres. Cette réalisation de la vacuité à fait l’objet de maintes commentaires et de classifications (cf. Les vingt vacuités d’après Candrakirti). Cependant on peut dire d’une façon générale qu’une réalisation de vacuité est l’aboutissement par une intelligence que l’on appelle "discernement". Cette intelligence du discernement dans la voie du Sahaja-Mahamoudra est ce qui définit Vipassana qui nous amène à réaliser l’aptitude de la conscience nommée Prajna (tib. Shé Rab). Ce discernement consiste à cerner, voire même intercepter, la co-émergence et faire fi de la soif qui induit le discours cogital de la discrimination. Selon le credo du sahaja : Apparence et vide co-émerge Dans la voie des tantras bouddhiques, cette intelligence du discernement est mis en œuvre par l’application du sceau du Yidam, co-émergence clarté-vacuité, lors des trois samadhis (3) de la phase de génération (tib. kyé rim) contemplative. La phase de parachèvement (tib. dzok rim) qui suit est l’apogée de la voie contemplative qui réalise le Sahaja-Mahamoudra. Parmi les quatre "garanties"(4) énoncées par le Bouddha Sakyamouni, la quatrième est la clef de la réalisation ; quelque soit l'expérience, s'en remettre à la sagesse de la vacuité. Si l'on applique ceci en toutes expériences, nous avons la capacité d'accélérer le chemin de la Vision. Il n'y a pas lieu d'attendre une expérience particulièrement positive pour en réaliser la vacuité. Évidemment, les conditions sont plus délicates quand nous éprouvons une expérience négative. Je me souviens d'une réponse de Khempo Tsultrim Rinpotché concernant la colère. Sans aucun jugement Rinpotché répondit : "colère-vacuité". Bien entendu, il ne s'agit pas de faire un déni de la colère, mais de prendre en "flagrant délit" l'instant d'avant toute imputation de colère en soi et réaliser la co-émergence de "colère-vacuité". Cela demande un entraînement intellectuel (tib. Lo Djong) de la Vue yogique. Dans la voie yogique, c'est une Vue qui s'applique aussi bien lors de la Méditation que dans la Conduite (tib. tcheu). C'est une démarche périlleuse qui demande une solide compréhension de la Vue et une forte détermination à déjouer la discrimination mentale même au détriment de son image. Cela ne s'improvise pas à la légère. On doit avoir une confiance en la nature primordialement immaculée de l'esprit et s'en remettre indissociablement aux trois types de vœux. Notes (1) Ce facteur mental indispensable au progrès de la méditation a le sens précis de « faire appel à la mémoire ». C’est-à-dire, en cas de distraction revenir à l’objet sur le quel on a décidé de se concentré. Ce facteur mental a été traduit par « mind full » en anglais dont la traduction française « pleine conscience » peut porter à confusion. (2) Allusion à Descartes, après son expérience de méditation : « pensant, existant ». Le « donc » qu’il rajouta plus tard fut, me semble t’il, le départ d’une confusion parce qu’il est entendu comme un « donc » conséquentiel et discursif qui serait l’instrument de la soif d’existence. Or ce « donc » doit être entendu comme désignant la co-émergence d’une faculté (la Pensée) et la paix parce que justement « existant » sans intervention de la soif qui cherche une entité pour prouver une existence. (3) Le samadhi (tib. Ting Ngé Dzin) de l’Ipséité (tib. Dé Shin Nyi), le samadhi de l’Apparentialité (tib. Kuntou Nang oua) et le samadhi Initial (tib. Gyu). (4) 1) S'en remettre au sens et non pas au mot seul. 2) S'en remettre à l'enseignement et non pas à l'enseigant seul. 3) S'en remettre à l'expérience. 4) Quelque soit l'expérience, s'en remettre à la sagesse de la vacuité.
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